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PROJET CARDO – CARNETS DE FOUILLES : LA DOCUMENTATION ARCHÉOLOGIQUE IMMERGÉE (1898-1986)

Le projet CARDO. Carnets de fouilles. La documentation archéologique immergée, 1898-1986. Deux cas d’étude, entre Gaule et Italie préromaine (2021-2023) est porté par le Labex Les passés dans le présent et piloté par O. de Cazanove (Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Il prend en considération deux séries d’archives archéologiques relativement récentes (XXe siècle), pertinentes à des régions éloignées les unes des autres, mais en même temps bénéficiaires d’une longue tradition d’études, afin de les faire dialoguer et de les éclairer l’une par l’autre. Deux cas d’études seront développés, Alésia et les sites mineurs de son environnement territorial d’un côté, des sites fortifiés de l’Italie du sud préromaine de l’autre. Le projet s’inscrit dans la thématique générale de la mémoire qui est celle du Labex, et particulièrement dans la réflexion actuelle sur les archives de fouille, entendues à la fois comme un outil heuristique permettant de penser l’évolution non linéaire de la discipline archéologique, mais aussi comme le témoignage d’un double passé – l’antiquité explorée et l’équipe l’explorant – à préserver pour le futur.

Le commandant E. Espérandieu classant les manuscrits de sa bibliothèque (©Palais du Roure, 9 août 1935)

LE PROJET CARDO : LA PRATIQUE DES ARCHIVES DE FOUILLES, ENTRE GAULE DE L’EST ET ITALIE PREROMAINE

La manière dont l’enquête archéologique est documentée, les archives multiformes qu’elle produit, le défi que posent l’accroissement exponentiel des données et leur conservation pérenne – alors que la fouille, par définition, détruit son propre objet au fur et à mesure de sa progression – constituent désormais, depuis peu, un champ d’études à part entière. Parmi d’autres exemples, on en voudra pour preuves le récent colloque de la fondation Hugot du Collège de France, intitulé Les archives de fouille. Mode d’emploi (Zanella et al. 2017) ou encore la publication d’une série d’études Autour du fonds Poinssot. Lumières sur l’archéologie tunisienne (Dondin- Payre et al. 2017). Si cet intérêt pour les archives de fouilles anciennes, leur préservation et leur valorisation est un phénomène de longue date, le projet CARDO trouve sa spécificité dans la nature des fonds étudiés : ceux des fouilles du XXe siècle, de loin les plus nombreux mais qui passent pourtant quelque peu au second plan – ou plutôt sont jugés moins intéressants –, et dont le potentiel informatif risque d’être sous-exploité. D’une part, la déperdition d’informations semble moins importante que pour des sites fouillés plus anciennement. Et d’autre part, mener une réflexion proprement épistémologique sur les archives de fouille du XXe s. n’a été que rarement fait, sans doute en raison du postulat implicite que les principes scientifiques qui ont guidé les générations immédiatement antérieures sont les mêmes que les nôtres, ou du moins sont transparents pour nous – ce qui est en réalité loin d’être toujours le cas.

CADRE ET ENJEUX DE L’ÉTUDE

Deux fenêtres d’étude ont été sélectionnées, dans deux pays d’Europe différents mais dans lesquels les développements de la discipline archéologique ont été parallèles, voire intriqués : la France et l’Italie. Fort de cette coopération entre chercheurs au niveau européen, CARDO bénéficie pour ce faire de l’appui et de l’expertise reconnue de ses différents partenaires. Sur le versant français, les UMR ARTEHIS (Dijon) et Héritages (Cergy-Pontoise), les Archives Départementales de Côte d’Or, la Cellule Développement du site d’Alésia et le MuséoParc, la MSH Mondes (Nanterre) et le Musée d’Archéologie Nationale (MAN, St Germain-en-Laye) ; sur le versant italien, le Centre Jean Bérard de Naples lui-même et la Surintendance archéologique de Basilicate.

En envisageant ainsi en parallèle des sites éloignés géographiquement, mais présentant des caractéristiques comparables et explorés au même moment, l’étude vise à mettre en perspective les pratiques de documentation, écrites, graphiques et photographiques, ainsi que leur évolution. Ainsi se justifie le choix de l’acronyme cardo qui veut rappeler la dynamique nord-sud de l’axe des centuriations romaines.

La dynamique CARDO, de la Gaule de l’Est à l’Italie préromaine

L’objectif final du projet est d’engager à partir de ce matériau une réflexion proprement épistémologique. Parce que ces archives ont été constituées au même moment, elles portent témoignage, chacune à leur manière et de façon complémentaire, sur l’évolution de la science archéologique : que documente-t-on à telle ou telle période et pourquoi ? Qu’est-ce qui est jugé digne d’être enregistré, photographié, triangulé ? Comment l’évolution des pratiques documentaires de terrain (et de catalogage en post-fouille) porte-t-elle témoignage sur les progrès de la discipline (et comment, à l’inverse, des routines d’enregistrement peuvent-elles en freiner le développement) ? Quand et sous quelles formes voit-on émerger de nouvelles préoccupations, des questionnements renouvelés, l’impact d’autres archéologies (l’archéologie du geste et de la chaîne opératoire de Leroi-Gourhan, l’archéologie environnementale, la stratigraphie, l’archéométrie, etc.). Parce que ce qui a été documenté subsiste seul de la fouille stratigraphique et conditionne donc toute l’interprétation ultérieure, ce sont ces minutes de terrain qui portent témoignage, au plus près, de l’état réel de la discipline, de son potentiel et de ses ambitions.

L’ANCRAGE CHRONOLOGIQUE DU PROJET

Dans le foisonnement des études sur les archives archéologiques, on constate une polarisation – certes bien explicable – de la recherche, ou bien sur les fonds les plus anciens, dédiés aux grandes villes et aux sites prestigieux, ou bien au contraire sur le futur de l’archivage à l’ère numérique. Parmi les premiers, on citera le Projet R&CAP (Référentiel et Cartographie de l’Archéologie Parisienne), piloté par le Pôle archéologique de la Ville de Paris et dirigé par J. Avinain, avec une documentation qui inclut en particulier les très célèbres papiers de Théodore Vacquer (1824-1899), l’archéologue des grands travaux haussmaniens. Parmi les réflexions prospectives, on mentionnera les travaux associés au Consortium MASA (Mémoire des Archéologues et des Sites Archéologiques). Le projet CARDO s’insère entre ces deux pôles particulièrement attractifs de la recherche. Précisément, il couvre la période 1898-1986, mais s’autorisera à dépasser cette date si certains dossiers le requièrent.

L’année 1898 est celle des premières interventions de V. Pernet, fouilleur historique d’Alésia, à l’extrémité orientale de l’oppidum, au lieu-dit La Croix Saint-Charles, plusieurs années avant qu’Émile Espérandieu n’y intervienne à son tour et mette au jour le grand sanctuaire d’Apollon Moritasgus (1909-1911). Le carnet de fouille 1898-1899 de V. Pernet sera publié, pendant la première guerre mondiale, par J. Toutain, dans le dessein d’amoindrir la nouveauté des découvertes d’Espérandieu : bon exemple de publication d’une « documentation archéologique immergée » à des fins polémiques, mais aussi comme pièce à l’appui du débat scientifique. En Italie du Sud, notamment en Basilicate, 1898 est l’année où l’inspecteur honoraire V. Di Cicco, correspondant d’archéologues de renom comme Paolo Orsi ou Domenico Ridola, fait connaître dans les Notizie degli Scavi di Antichità une série de recherches sur l’arrière-pays lucanien (Pietrapertosa et Tricarico) qui complètent ou anticipent celles qu’il publie sur les sites fortifiés d’Accettura, Croccia Cognato, Garaguso dans la même région.

Quant à la date de 1986, elle correspond à la création, par M. Py et M. Bats, du logiciel Syslat, système d’information archéologique intégré (SIA), susceptible de gérer les différents aspects de la documentation de fouille et post-fouille (US, faits, matrices, mobiliers…). Cet outil majeur favorise l’entrée massive de la micro-informatique dans le domaine de l’archéologie. Cette révolution n’est d’ailleurs pas la seule qui bouleverse la fouille archéologique et la manière même de la documenter dans les années quatre-vingt. C’est aussi le moment où les principes de la méthode stratigraphique s’imposent définitivement : les Principles of archaeological stratigraphy de E. C. Harris sont de 1979 ; une traduction italienne en est faite dès 1983. Le manuel de P. Barker, Techniques of Archaeological Excavations, paraît en 1977 (trad. ital. 1981), celui d’A. Carandini, Storie dalla terra, en 1981. Sur le versant documentaire, les Norme per la redazione della scheda del saggio stratigrafico, de F. Parise Badoni e M. Ruggeri Giove sont publiées à Rome par l’ICCD (Istituto Centrale per il Catalogo e la Documentazione) en 1984. Désormais, pense-t-on alors, un cadre de documentation normé et en partie déjà informatisé va remplacer les anciens supports, un style de rédaction et un vocabulaire descriptif qui n’étaient plus jugés assez rigoureux. Pour toutes ces raisons, parce que l’année 1986 marque – théoriquement ! – la fin du carnet de fouilles comme indispensable aide-mémoire de l’archéologue de terrain, elle a été choisie comme borne du présent programme. Commence alors une autre période, où se met en place en réalité une documentation mixte, parfois redondante – car une bonne partie des professionnels n’a pas renoncé, et très heureusement, au carnet de fouille et aux autres outils de notation traditionnels.

LES ARCHIVES À L’ÉTUDE : AVANCÉES, MÉTHODES ET PROTOCOLES DE TRAVAIL

Le projet CARDO s’articule concrètement autour de trois axes majeurs, qui visent à l’exploitation raisonnée des différents fonds documentaires concernés. Un quatrième axe s’attachera à faire la synthèse des trois autres en produisant une réflexion de fond sur les pratiques écrites, graphiques et photographiques de terrain et plus largement sur les choix épistémologiques implicites qui sous-tendent celles-ci, tels que la « documentation archéologique immergée » les révèle.

Les objectifs poursuivis dans ce projet sont donc les suivants : – l’inventaire, le référencement, la numérisation et la mise en ligne des archives de fouilles inédites du XXe siècle (carnets et autres notes écrites, correspondances, rapports d’étape, photographies, plans, stratigraphies et autres documents graphiques) relatives aux sites d’Alésia, aux sanctuaires de Côte d’Or et aux sites indigènes de l’Italie du Sud. Ces opérations sont en cours depuis le début de l’année 2021, bien que fortement impactées par la crise sanitaire qui a nécessité d’adapter et de modifier fréquemment le calendrier de travail.

L’HISTOIRE DES FONDS : IDENTIFICATION & RECENSEMENT

Documentation par essence dispersée – selon les vicissitudes de l’exploration archéologique d’un site et l’histoire personnelle des fouilleurs – et multiforme, ces archives sont conservées auprès des différentes institutions partenaires du projet, qui en ont la propriété et la charge. Ces collaborations fructueuses ainsi que plusieurs missions effectuées sur les différents sites de conservation ont permis d’entamer, poursuivre ou compéter un travail d’inventaire et de traitement, initié par les différentes institutions, et qui est globalement toujours en cours et avec un état inégal d’avancement du fait de la pandémie. On reviendra ailleurs sur l’historique et la composition de ces fonds, qui méritent des développements plus approfondis, pour se borner ici à les recenser et les présenter brièvement selon le découpage promu par CARDO en trois axes.

AXE I – Alésia et les sites de l’Auxois (Côte d’Or).  Pour le grand site d’Alésia, il s’agit de la documentation des fouilles de Pernet père (1905-1914) et Pernet fils (1932-1949), d’E. Espérandieu (1905 ; 1908-1911), de M. Tardivon (1924-1931), de M. Maillard (1955-1958) ainsi que celle de J. Le Gall et ses différents collaborateurs (1961-1973), sur le centre monumental, à la Croix Saint-Charles, à la Fanderolle, à En Surelot et au cimetière Saint-Père. La majeure partie de ces fonds a été regroupée dans les années 1960 sous l’impulsion de J. Le Gall, d’abord au bureau Alésia de l’université de Bourgogne (qui en conserve copie), avant d’être versée à la Cellule de Développement Alésia (Côte d’Or) qui en a désormais la responsabilité. Cette riche documentation – on y retrouve pratiquement tous les carnets de fouilles ainsi qu’un abondant corpus photographique – est en cours d’inventaire par les soins de V. Raveneau. Les archives départementales de la Côte d’Or conservent également un certain nombre de documents. Les archives du Commandant Espérandieu ont, quant à elles, conflué à la fondation Flandreysy-Espérandieu du palais du Roure à Avignon, et ont en partie déjà été numérisées grâce aux efforts constants de V. Barrière. En région parisienne, les archives du musée d’archéologie nationale (MAN) sont de première importance pour l’étude des relations – parfois houleuses – entre les différents acteurs de ces fouilles et celle des logiques de conservation et diffusion du matériel archéologique, de l’objet à son moulage.

L’étude des sanctuaires de l’Auxois – ceux des Sources de la Seine, de Sainte-Sabine, de Massingy-lès-Vitteaux, etc. – a été aussi entamée à travers les fonds se trouvant aux archives départementales, et devra se poursuivre notamment au bureau Alésia de l’université de Bourgogne.

(Cellule Alésia)
Alésia, archives de fouilles (©Fonds SSS – Cellule Développement Alésia, Dijon)

AXE II – Arpi (Pouilles). L’étude des archives du site italique puis romain est menée par le Centre Jean Bérard de Naples, partie intégrante de CARDO, dans le cadre du projet Mémoire d’Arpi entrepris par la Surintendance des Antiquités des Pouilles dès 2014. Dans le cadre du projet, on s’intéresse spécifiquement à la documentation des premières interventions officielles, entre 1939 et 1941, par la Surintendance sous l’autorité de C. Drago, puis à celle des opérations effectuées à l’occasion des grands travaux d’aménagement de l’autoroute et de bonification entre les années 1970-1990, par E. de Juliis et M. Mazzei. Ces fonds concernent l’exploration de l’habitat, des nécropoles et de l’enceinte et regroupent une abondante documentation d’archéologues professionnels, mais aussi d’élèves formés sur les chantiers dans les années 50 du siècle dernier, ainsi que celles d’érudits locaux.

Arpi - Archives de fouilles
Arpi, archives de fouilles (©Surintendance Archéologie, Pouilles)

AXE III – L’hinterland lucanien. L’étude des archives de fouilles sur les sites lucaniens s’appuie sur la collaboration existant de longue date avec la Surintendance Archéologie Beaux-Arts et Paysage de Basilicate. On s’intéressera particulièrement à l’activité de certaines figures emblématiques de la recherche et à l’exploration de certains sites-clés : les prospections et les sondages de V. Di Cicco (début XXe) et de F. Ranaldi (années 1950-1960), l’inlassable activité du premier Surintendant régional, D. Adamesteanu et des collaborateurs étrangers auxquels il a fait appel (M. Lejeune ; Vaglio Basilicata, 1967-1977), les premières fouilles préventives en Basilicate (Serra del Cedro, 1986), les fouilles programmées de Civita di Tricarico (1985-1986), etc.

Les archives historiques de la Surintendance, postérieures à 1964, date de sa création, font l’objet, depuis 2018, d’une gestion partagée entre la Direction Régionale des Musées de Basilicate et la Surintendance archéologique. Ces fonds sont conservés au Palazzo Loffredo de Potenza et scindés entre l’Archivio Storico et l’Archivio Fotografico. Ils sont en cours d’étude. Les fonds antérieurs à 1964 sont conservés au Musée provincial de Potenza où il faudra poursuivre l’enquête. D’autres fonds sont conservés à Rome (Accademia dei Lincei) et à Paris (archives Lejeune de l’EPHE).

Basilicate, archives de fouilles conservées à Potenza ©

NUMÉRISER, TRANSCRIRE ET VALORISER UNE DOCUMENTATION IMMERGÉE

La mise en œuvre du projet et sa bonne progression requièrent une réflexion méthodologique qui doit être menée en amont et constamment rediscutée. Numériser, Transcrire et Valoriser apparaissent en effet comme trois étapes étroitement imbriquées d’un processus commun, qui a été placé au cœur de la démarche scientifique de CARDO : une numérisation non-adéquate entraînerait des conséquences sur le travail de transcription, qui deviendrait plus fastidieux voire impossible, sur la reconnaissance automatique des caractères (OCR) mais aussi sur le rendu final des documents numériques qui seront mis à disposition. CARDO accorde à chacune de ces étapes une attention égale, motivée par sa volonté de rendre communicables, facilement consultables et interrogeables les fac-similés des archives traitées.

Une partie des opérations menées cette année a été consacré à la numérisation. Toutefois, les premiers mois d’activité du projet, au début de l’année 2021, ont été marqués par le confinement et les restrictions de déplacement qui ont contraint à retarder les premières missions visant à recueillir les matériaux de l’étude. La première n’a pu se dérouler qu’en juin, auprès de la Cellule de Développement Alésia de Dijon et a été l’occasion de tester et peaufiner le protocole mis en place, en particulier pour la numérisation des carnets de fouilles. Une mission auprès du Palazzo Loffredo de Potenza puis de nouveau à la Cellule Alésia ont ensuite eu lieu respectivement en septembre et en octobre dernier. Le bilan que l’on peut en tirer est indubitablement positif : pour le moment, il s’agit de quelques 11000 fichiers numérisés, soit 35 Go de données, auxquels viennent s’ajouter les documents déjà en notre possession. Il s’agit majoritairement d’une documentation écrite, manuscrite et dactylographiée, mais la numérisation des fonds photographiques a également commencé, notamment à Dijon. Ce travail a pu être mené de manière efficace grâce à l’utilisation d’un scanner à pied, portatif, mis à disposition par l’UMR ARTEHIS. Tout au long du processus, une attention particulière a été portée à la qualité des fichiers, à l’horizontalité du texte, à l’homogénéité des clichés, etc. Outre les difficultés logistiques rencontrées çà et là, la nature multiforme des archives, qui contiennent en outre de nombreux doublons, brouillons et versions d’essai de la documentation, qu’il convient tantôt de conserver, tantôt d’éliminer de la version numérique, a occupé une place importante de notre réflexion. Les données collectées ont été versées sur un serveur privé, classées et renommées dans un système d’arborescence à plusieurs niveaux : sites > fonds > auteur > année > nature du fichier.

En parallèle, le travail de transcription a été mené de façon continue au cours de l’année, d’abord sur les fonds disponibles – et donc déjà numérisés –, ceux du Palais du Roure traités par V. Barrière (UMR Héritages) et ceux mis à disposition par la Surintendance de Basilicate, relatifs aux fouilles anciennes à Tricarico. On s’est ensuite progressivement tournés vers les données nouvellement obtenues. Le travail est loin d’être achevé et devra mobilier une partie non négligeable des forces de CARDO au cours de l’année prochaine. Jusqu’à présent, on s’est efforcé, autant que possible, de faire avancer les différents fronts de l’étude, français comme italien. On a recouru massivement à une transcription manuelle pour les documents manuscrits, la seule solution véritablement fonctionnelle, réservant la reconnaissance automatique des caractères aux rapports dactylographiés. Même dans ce cas-là, la dégradation du fichier original ou les conditions de sa numérisation ont souvent rendu impossible l’utilisation de logiciels spécialisés. La documentation photographique pour sa part nécessite une attention différente mais tout aussi essentielle, afin de procéder au légendage individuel des clichés. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce travail, qui permettra de rendre accessible, grâce à une simple recherche dans le texte, une masse considérable d’informations inédites de toutes natures : les minutes de terrain nous renseignent sur les trouvailles archéologiques et les contextes de découverte, sur les pratiques et méthodes de l’archéologie et leurs transformations ; la correspondance des chercheurs, sur la mise en œuvre d’un chantier, sur les collaborations internationales et sur diverses polémiques au sein des différents milieux scientifiques. Ainsi, pour ne prendre que ce seul exemple, H. Corot ne manque pas de faire part à E. Espérandieu, en date du 02 octobre 1921, de sa joie à l’annonce de la disgrâce de leur concurrent sur les fouilles d’Alésia, site ô combien emblématique des luttes de pouvoir dans l’archéologie du XXe siècle :

« J’ai appris dernièrement par Lorimy que notre ami Nodot, pharmacien à ..….. avait pris la succession de Simon à la Présidence de la Société des Sciences de Semur en Auxois, notre ineffable Ami est donc tombé comme il le méritait c’est à dire en pleutre ! J’en suis non pas dans le marasme, mais presque dans la joie, et on peut se réjouir d’une telle déchéance !! C’est généralement le sort qui attend tous ceux qui veulent se hausser sur le dos des membres d’une Société, même scientifique. Je regrette de n’avoir pas plus de détails sur cette affaire, mais il paraît que Simon a été sorti avec tous les honneurs qu’il méritait …. ceux de la botte au bas du dos. »

Par la richesse et la grande variété des informations sur le climat intellectuel de toute une époque et sur la société du temps, cette documentation est susceptible de dépasser la seule sphère des études archéologiques et d’intéresser plus largement l’ensemble des sciences sociales.

L’une des finalités de CARDO regarde enfin la valorisation de ces fonds d’archives grâce aux outils du numérique qui permettront d’en faciliter la consultation et la peine exploitation. Cette volonté forte de mise en forme et d’ouverture des données exige la mise en place d’une solide infrastructure numérique qui accueillera, archivera et éditera cette énorme masse de documentation inédite. Pour cela, les outils mobilisés devront répondre à un ensemble de caractéristiques bien définies : il s’agit en effet de proposer un environnement stable, au-delà de la durée limitée du projet lui-même, et qui soit adapté à la gestion d’archives de fouilles (ce qui implique de respecter l’arborescence souvent complexe d’un fonds). Mais au-delà de la pérennité des sources et de la dimension archivistique du projet, l’objectif est aussi et d’abord scientifique : en mettant en regard le fac-similé du document original et sa transcription, qui seront accessibles en vis-à-vis et donc directement confrontables, CARDO vise à rendre immédiate l’interrogeabilité des deux versions et donc à nous renseigner à la fois sur le support et son contenu. Enfin, en raison de la multiplicité de propriété des fonds, la plateforme devra permettre plusieurs niveaux de contrôle de l’accès aux données. Dans ce contexte, l’environnement qui offre la plus grande marge de manœuvre et qui permet de soulager les acteurs de la recherche de la gestion purement logistique, souvent assez lourde et très technique, de ces outils est celui proposé par laTGIR Huma-Num, partenaire du Labex Les passés dans le présent,  qui offre à la fois des solutions de stockage et d’archivage pérenne d’une grande masse de données, mais aussi d’éditorialisation, par leur indexation sur le Web et le moissonnage des données par de nombreuses plateformes, ainsi que toute une série d’outils de gestion des transcriptions. Le choix de ces outils soulève de véritables questions sur la gestion d’un patrimoine numérique et l’accroissement exponentiel des données virtuelles au cours des dernières années, dont la conservation à long terme est l’un des enjeux principaux.

 

 

 

Auteurs : Lucas Aniceto, Olivier de Cazanove


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lucas Aniceto, Olivier de Cazanove (29 décembre 2021). PROJET CARDO – CARNETS DE FOUILLES : LA DOCUMENTATION ARCHÉOLOGIQUE IMMERGÉE (1898-1986). CARDO. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://cardo.hypotheses.org/229


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